Cette absence du Château Cantemerle dans la liste initiale s'explique par l'ignorance des courtiers quant à son prix de vente. En effet le château entretient un commerce de longue date avec la Hollande : la totalité de la production est vendue directement aux acheteurs hollandais, contournant les courtiers et négociants de la place de Bordeaux. Guillaume Lawton constate cette pratique d'exportation directe en 1816, remarquant que « Villeneuve est à la 1ère ligne de cette commune. Ses vins font très bien en Hollande & il les y expédie ». Le détail des transactions entre Villeneuve Durfort et les hollandais et en particulier le prix auquel le vin se vend sont ainsi pratiquement inconnus des courtiers. Aussi, dans les archives ordinairement minutieusement détaillées de Guillaume Lawton et de ses successeurs, les commentaires sur cette propriété se limitent le plus souvent au nombre de tonneaux produits, et pour les années où toute autre information manque seul le mot « Hollande » figure. A de très rares occasions le prix de vente y est inscrit. Au cours d'une période de quatre-vingts ans entre 1775 et 1854, seulement six prix ont été enregistrés.
Pour le millésime 1854, Caroline de Villeneuve Durfort prend une décision constituant une rupture significative par rapport au passé : désormais le vin de Cantemerle sera vendu sur la place de Bordeaux, en passant par le réseau traditionnel des courtiers. Pour la première fois en trois décennies, Tastet et Lawton enregistrent un prix de vente pour cette propriété dans leurs carnets : 2 100 francs le tonneau. Soit 100 francs de plus que Croizet-Bages, propriété qui au départ est la dernière de la classification des courtiers, dressée définitivement le 18 avril. Ce qui n'est guère étonnant si on sait que le vin de Cantemerle atteint depuis des décennies un prix équivalent aux cinquièmes crus. Ainsi, toujours d'après les carnets de Tastet et Lawton, le vin du château en 1825 coûte 1500 francs le tonneau, le même prix que Croizet-Bages.
En 1819 Cantemerle se vend pour 850 francs, 100 francs de plus que Croizet. L'année précédente, Croizet a pris de l'avance avec 1000 francs contre seulement 710 pour Cantemerle, mais en 1815, la différence est beaucoup plus serrée à 950 francs pour Croizet-Bages et 850 pour Cantemerle. Et en 1775, les prix enregistrés par Guillaume Lawton sont 300-330 pour Cantemerle, et 270-300 pour Croizet-Bages.
Les détails des transactions entre Villeneuve Durfort et les marchands hollandais n'ayant pas été régulièrement communiqués aux courtiers et la très récente cotation de Cantemerle sur la place de Bordeaux font que le syndicat des courtiers ne s'en souvient pas en dressant la liste des cinquièmes crus.
Dès que Caroline de Villeneuve-Durfort apprend que Cantemerle est absent de la liste présentée à l'exposition, elle réagit immédiatement pour préserver la réputation de sa propriété et exige qu'elle figure parmi les cinquièmes crus, en s'adressant directement au Syndicat des Courtiers. Sans doute en possession d'un historique des prix de vente de Cantemerle beaucoup plus complet que celui des courtiers, le dossier qu'elle présente officiellement est apparemment irréprochable.